La sécheresse de 2022 et l’absence de pluie en février 2023 fait craindre le pire pour cet été. Que pouvons-nous faire pour éviter de trop fortes tensions sur cette ressource indispensable ? Le point avec Vazken Andréassian, hydrologue et directeur d’unité à l'INRAE.
Pouvez-vous nous expliquer très simplement le cycle de l’eau ?
Vazken Andréassian, hydrologue et directeur d’unité à l'INRAE. - Le
cycle de l’eau tient en une loi simple : « rien ne se perd, rien ne se
créé ». Toutes les précipitations se transforment soit en évaporation,
soit en écoulement, dans les rivières ou dans les nappes souterraines.
Le
cycle de l’eau correspond au flux de l’eau douce, qui ne représente que 3% de
l’eau de notre planète bleue, essentiellement contenue dans les océans.
Elle
est essentiellement, à 60% environ, prélevée dans les nappes phréatiques. À
l’exception notable de la région parisienne où les captages se font dans
l’Oise, la Marne et la Seine.
Les
barrages-réservoirs établis sur les affluents de la Seine pour protéger la
capitale et les communes limitrophes des inondations servent aussi réguler le
débit des cours d’eau pour assurer l’alimentation en eau potable du plus grand
bassin de population de France.
Le niveau des nappes est-il anormalement bas ? Risque-t-on de manquer d’eau en France ?
Les
prélèvements en eau se font toujours localement. En conséquence, les problèmes
d’eau sont toujours des problèmes locaux, avec des situations très contrastées
selon les régions.
En
comparant la sècheresse historique de 1976 avec celle de 2022, j’ai observé une
situation très similaire. Seule le Sud-Ouest a vécu un épisode de sécheresse
plus marqué au cours de l’été dernier.
Les
nappes du bassin de la Seine sont loin d’être au plus bas : elles ont
connu leur plus grand déficit en 1993, à l’issue de plusieurs années de
sècheresse hivernale.
Même
si on a l’impression de vivre une situation exceptionnelle, celle-ci n’est ni
inédite, ni dramatique. La France bénéficie d’une situation bien plus favorable
que ses voisins, avec des flux d’eau douce deux fois plus importants qu’en Espagne
par exemple.
Évidemment, la situation nationale masque de grandes disparités,
avec des régions plus affectées que d’autres, et, au niveau local, il peut
exister des pénuries.
Un mois de juillet pluvieux suffirait-il à recharger les nappes ?
Non,
car les nappes phréatiques se rechargent pendant la période hivernale. Les
pluies en été ne peuvent les alimenter efficacement. Elles sont absorbées et
stockées par les sols et captées par les plantes qui sont en phase active.
Doit-on s’attendre à des situations problématiques plus fréquentes à l’avenir ?
Les
derniers modèles dont nous disposons nous promettent un climat plus contrasté,
avec des sècheresses estivales plus longues et des pluies plus concentrées en
hiver.
C’est
un peu la double peine : plus de crues et plus de sècheresse, pour une
quantité d’eau douce qui demeurerait sensiblement identique, à l’exception du
bassin Adour-Garonne pour lequel on prévoit un assèchement plus net. Nous
allons, en quelque sorte, vers une extension du climat méditerranéen.
S’y
ajoute un recul de la limite pluie-neige, qui gagne en altitude, ce qui se
traduit par une baisse du manteau neigeux et donc de nos capacités de stocker,
en hiver, l’eau douce en montagne.
Quels moyens avons-nous pour économiser l’eau, au-delà des restrictions décidées par certains départements et des gestes clés recommandés par le Gouvernement ?
Les gestes recommandés par
le Gouvernement sont essentiellement des mesures de sobriété. Au niveau
individuel, c’est le meilleur moyen pour préserver la ressource.
Mais comment faire de la
sobriété dans les champs ? L’agriculture s’est toujours appuyée sur
l’irrigation et les plantes ont besoin d’eau pour se rafraichir. Nous n’allons
pas cultiver moins pour avoir plus d’eau dans nos rivières. Nous serons près de
10 milliards sur cette planète en 2050 : la question de notre indépendance
alimentaire est importante.
Dans la Beauce, des droits
de prélèvement pour l’irrigation sont distribués chaque année. Je pense que
c’est une bonne manière de procéder : évaluer la quantité d’eau disponible
et règlementer les usages. Mais l’agriculture ne doit pas être la seule
variable d’ajustement : tout le monde doit jouer le jeu.
La séquence réduire,
réutiliser, recycler doit s’appliquer à l’eau, avec la question de
l’acceptabilité du recyclage des eaux usées, pour l’agriculture par exemple. Si
nous savions désaliniser l’eau de mer avec une dépense énergétique faible, nous
n’aurions plus de souci à nous faire, mais nous en sommes très loin.